C’est lors de la plénière d’ouverture du World Forum que Yann Vincent, directeur général d’Automotive Cells Company, s’est exprimé sur la question de la transition écologique, en liant son propos avec la question de la mixité sociale.
Diplômé de l’Ecole Centrale de Paris et d’un MBA à l’INSEAD, Yann Vincent a travaillé pendant 27 ans chez Renault avant de diriger la fabrication de la supply chain du groupe PSA. C’est en 2019 qu’il crée Automotive Cells Company avec Total, dont l’objectif est, selon ses propres mots, de « créer un champion européen pour la conception des batteries électriques ». Entretien avec l’expert.
Automotive Cells Company est une entreprise investie, avec de fortes valeurs, peut-on revenir sur les engagements de celle-ci et leurs liens avec votre démarche personnelle ?
L’engagement est une conséquence, il n’a pas précédé à la création de cette société. C’est un projet extrêmement enthousiasmant à deux niveaux. Tout d‘abord, fabriquer des batteries permet une mobilité propre et nous souhaitons que cette mobilité propre, en tant que souhait des citoyens, soit accessible au plus grand nombre. Contribuer à cette mobilité, c’est contribuer à la protection de la planète, ce qui constitue un premier motif d’enthousiasme. Le deuxième motif d’enthousiasme, c’est que l’on crée en Europe – et donc plus particulièrement en France – des industries à très forte valeur ajoutée technologique qui jusqu’à présent n’existaient pas. Ce faisant, on contribue à une réindustrialisation de l’Europe, et de la France en particulier.
Par rapport au rapport alarmant du GIEC cet été et des engagements la COP 26 que Jean-Michel Lobry a qualifié de « timides », quelles sont vos attentes concernant le World Forum for a Responsible Economy ? De quelle manière souhaitez-vous participer socialement, par la diffusion de bonnes pratiques d’entreprise ?
Je crois que le point principal, c’est qu’il ne faut pas dissocier performances économiques et performances écologiques. Le sujet de la mobilité propre en particulier est un sujet qui, à mes yeux, est très sensible. Aujourd’hui, tous les constructeurs savent fabriquer des véhicules électriques. Le problème, c’est que tous les citoyens n’achèteront pas de Tesla. Donc le véritable sujet, c’est la recherche d’idées pour faire l’un et l’autre et non pas l’un ou l’autre. C’est pour cela que j’insiste particulièrement sur le fait que la mobilité doit être propre et abordable. Il suffit de voir l’origine du mouvement des gilets jaunes pour comprendre le coeur du sujet. Nous devons faire extrêmement attention pour éviter la fracture sociale. Je dirais qu’un forum comme celui-là, c’est aussi une opportunité pour trouver des idées permettant de réconcilier les deux objectifs. C’est absolument fondamental.
Auriez-vous des solutions pour aider les entreprises qui n’ont pas commencé de transition écologique à adopter des objectifs concrets malgré la compétition ?
Je pense que l’aspect législatif a son importance. Pour fabriquer des batteries, nous sommes en compétition avec des fournisseurs présents en Chine. Ces fournisseurs ont de l’avance par rapport à nous. Cependant, ces entreprises utilisent de l’énergie très largement carbonée, contrairement à Automotive Cells Company. En effet, la distance parcourue en bateau pour acheminer les batteries en Europe va émettre du CO2. Une mesure d’initiative serait de créer une taxe à l’entrée de l’Europe, indexée en fonction du volume de CO2 émis lors de la fabrication du produit et de son acheminement. Le témoignage des entreprises engagées est très important, certes, mais les contraintes législatives et fiscales sont également primordiales dans cette démarche.
Justement, la loi climat et résilience de juillet dernier vise à accompagner les entreprises dans leur transition écologique. Cependant, cette loi est critiquée car jugée insuffisante. Quel est pour vous le lien actuel entre les mondes politique et économique et quels changements semblent nécessaires ?
C’est un sujet vraiment compliqué. Dans l’industrie automobile, il faut dire que l’on n’était pas favorable à la pente des engagements, ils s’y sont imposés. En effet, nous avons estimé que cette pente allait entraîner des adaptations extrêmement brutales par opposition à ce qu’auraient pu être ces adaptations face à une pente moins importante. On voit immédiatement les problèmes qui s’opposent : il faut aller vite parce qu’il y a urgence, mais il faut progresser rapidement tout en ayant une maîtrise sociale. C’est là que se situe toute la difficulté. Il faut confronter les opinions pour essayer de trouver des solutions en commun. Je ne pense pas qu’il faille opposer les uns et les autres, notamment sur la vitesse d’adaptation.
Pour conclure, pour vous le World Forum, c’est quoi ?
Je dirais que c’est un lieu d’échange et de témoignage, un lieu qui peut permettre effectivement d’entraîner d’autres acteurs dans la démarche.
Flora GARDÉ