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15A / Nils Pedersen : « la transition écologique et la transition sociale sont deux faces d’une même pièce »

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Nils Pedersen est délégué général du Pacte mondial de l’ONU – Réseau France. Fort de près de quinze ans d’expérience sur les enjeux sociétaux multi-acteurs et d’innovation sociale, il s’engage aujourd’hui à mobiliser les membres du Pacte mondial de l’ONU – Réseau France à mettre en œuvre l’Agenda 2030 de l’ONU. 

Calme, posé, souriant et assuré, Nils Pedersen, derrière une attitude assurée, dissimule un homme engagé, convaincu qu’en matière de transition, dissocier environnement et société est illusoire, et que pour arriver à quelque chose, il n’y a qu’une solution. Il va falloir jouer collectif !

On pointe souvent une contradiction dans la conjonction des termes solidarité et environnement. Qu’en pensez-vous ?

« Je pense qu’à la base, il y a une contradiction dans la définition du développement durable. C’est vrai que souvent, dans l’opinion publique, au sens large, dans le développement durable, on entend surtout « environnement », alors que dans la définition même du développement durable, il y a trois piliers qui mêlent l’environnement, le social et l’économique. Les trois sont intimement articulés. Donc il y a d’abord un enjeu de définition. Effectivement, on parle environnement, climat, réduction des gaz à effet de serre. Et bien souvent, on pense que dans une démarche de durabilité, il suffit de réduire les gaz à effet de serre ou son impact environnemental pour y arriver. C’est tout l’enjeu des objectifs de développement durable que de rappeler que tous ces enjeux s’articulent. D’ailleurs, dans la définition des ODD, le climat (ODD 13) est un objectif parmi 17, et notamment plusieurs objectifs liés à des enjeux socio-économiques comme la pauvreté (ODD 1) et l’éducation (ODD 4). Cela ne signifie en rien que cet enjeu est moins important que les autres, mais encore une fois, les enjeux sociaux aussi sont importants. La réalité, c’est qu’environnement et social sont intimement liés. On ne peut pas lutter contre le réchauffement climatique le ventre vide. On ne peut pas lutter contre le changement climatique si on ne sait pas lire et écrire, si on n’a pas conscience du problème. L’enjeu du niveau d’éducation est donc crucial. 

J’entends que dans le débat public souvent dire que le réchauffement climatique est la première, la mère de toutes les batailles est le réchauffement climatique. Evidemment, je souscris à ce constat. Le secrétaire général de l’ONU rappelle régulièrement la nécessité d’investir ce combat contre le temps et contre nous-mêmes. Mais à nouveau les deux sujets sont intimement liés. Moi, ce que je dis souvent, c’est que la transition écologique et la transition sociale sont les deux faces d’une même pièce. Chercher à les dissocier est illusoire. »

En quoi la responsabilisation des entreprises est-elle cruciale pour parvenir à cette double transition ?

« Sans l’entreprise, on n’y arrivera pas. L’entreprise représente presque 50 % du PIB français. Au niveau mondial, c’est 80 %. On voit bien que l’entreprise est évidemment un acteur crucial, et elle a un rôle à jouer dans son territoire. Elle s’inscrit dans un écosystème, avec sa chaîne de valeur, avec ses fournisseurs, mais aussi avec la puissance publique. Par des investissements entreprises dans la formation professionnelle, mais aussi dans la formation technique, l’entreprise peut jouer un rôle à part depuis la conception jusqu’à la fin de vie de ce qu’elle produit. Donc, elle doit s’interroger et s’intéresser finalement aussi aux impacts et aux conséquences de sa production en terme environnemental et social. On peut prendre des exemples très concrets. Quand vous êtes dans fabricant de meubles, vous importez du bois. Est ce que ce bois provient d’une filière durable ou pas durable ? Si vous importez des mousses, d’où viennent ces mousses ? Est-ce que leur fabrication demande du pétrole, donc du plastique ? Ce plastique vient-il de France ? Et comment sera-t-il recyclé ? Il y a très peu de filières de recyclage de mousses en France. Ce travail est très, très spécifique, et comme nous ne parvenons pas à le recycler, certains se retrouvent avec des tonnes de mousses de canapés qui n’étaient pas faits pour durer… Résultat, on change de canapés tous les mois, et je vous laisse imaginer les conséquences… Donc, si l’entreprise ne s’intéresse pas et s’interroge pas sur le cycle de vie de son produit, son activité pourra avoir des conséquences dramatiques. 

Autre exemple très concret : j’entends souvent, par exemple, des entreprises qui nous disent “j’ai construit un bâtiment à très haute performance environnementale. Pas beaucoup de consommation d’électricité, pas d’émissions de CO2… c’est génial. De fait, je réponds à toutes mes attentes en termes d’exemplarité environnementale.” Sauf que si vous construisez un maximum en zone agricole, sans accès ou sans voirie conséquente, la réalité, c’est que vous allez manger des terres arables au détriment de l’agriculture. En termes de durabilité, peu mieux faire… Je donne cet exemple parce que c’est un archétype. Si je ne mesure pas les conséquences de mon action sur l’ensemble des objectifs de développement durable, ça ne fonctionne pas. Et en fait, je génère plus d’impact négatif que positif parce que finalement, je n’aurai pas réfléchi à mon problème sous tous les angles. La bonne volonté ne suffit pas, il faut une vision holistique du problème. »

C’est donc une question de proportions…

« Il y a une question de proportions, mais aussi une question de compréhension du sujet. Et la question du territoire, elle est là. Chaque territoire est unique. Je prends l’exemple d’une entreprise qui s’est placée sur une zone industrielle. Celle-ci s’intéresse à ses implantations hydriques, et pour ce faire, elle s’est penchée autant aux cheminements de l’eau qui s’écoule sur les terrains, mais aussi aux anciennes rivières. Or, elle a découvert qu’elle se trouvait sur un ancien lit de rivière. Ne pas prendre en compte cette information pourrait avoir des conséquences dramatiques du fait de risques d’humidité, d’inondation… Il a donc fallu se pencher sur ces questions, mais pas tout seul. L’ensemble des entreprises présentes doit se mobiliser pour mener des études de terrain, tout en impliquant les collectivités locales. Pour rester sur cet exemple, on a besoin de comprendre comment le lit de la rivière s’est déplacé parce que ça nous permet ensuite d’avoir une implantation de nos futurs sites de production plus adaptée, d’éviter d’aller grappiller sur cet ancien lit parce que du coup, on s’est construit en zone inondable.

L’approche du territoire, si elle n’est pas menée de manière collective, réfléchie, partagée avec l’ensemble des acteurs — que ce soit les collectivités locales, la mairie en premier lieu, mais aussi les acteurs de la chaîne civile et les associations — ça ne marche pas. 

La force du faire ensemble est extrêmement importante sur un territoire parce que tout seul, on ne peut pas faire grand chose. Les objectifs de développement durable sont des objectifs globaux à l’échelle mondiale à l’échelle globale. »

Justement, cette dimension globale n’est-elle pas difficile à adapter à l’échelle du territoire ? 

« L’Agenda 2030 de développement durable est un agenda qui s’applique à tous. C’est ce qui le rend universel et international. Évidemment, il y a des secteurs dans lesquels nous sommes en retard. Mais encore une fois, les objectifs de développement durable son une boussole, une grammaire commune. L’enjeu n’est pas de dire : “on veut que toute la population mondiale fasse la même chose au même moment, à un instant T.” Le sujet, c’est de se dire collectivement : “si on veut que d’ici 2030, dans moins de sept ans, la population puisse vivre dignement et que la planète puisse arrêter de souffrir à la hauteur de ce qu’on souffre aujourd’hui, voici ce qu’on doit mettre en œuvre et voici les objectifs que l’on doit atteindre.”

Évidemment, selon les territoires, les impacts ne seront pas les mêmes. Néanmoins, les problématiques que je vais soulever seront, elles, les mêmes. Après, tous les acteurs ne sont pas pareils. Mais l’objectif des ODD, c’est justement de donner un même objectif à tout le monde. »

Sauf que tout le monde n’est pas investi de la même manière dans la transition durable. Dans ce cas là, comment les acteurs publics peuvent agir pour mobiliser des acteurs de terrain ?

« Si on prend l’ONU, celle-ci dispose d’une assemblée générale des états membres, qui, à travers les ODD, est unie autour d’une même feuille de route.

Après, évidemment, il y a les États. Chacun des États est un acteur, et chaque pays, ensuite, décline l’Agenda 2030 dans une feuille de route. Donc la France, au travers du Commissariat général au développement durable, a décliné la feuille de route française. A travers elle, elle dit : “Voilà. Moi, spécifiquement, je mets en avant des priorités parce que dans mon pays, je pense que ces sujets là est prioritaire.” Encore une fois, chaque pays a un contexte socio économique, politique, culturel qui est différent. Donc aujourd’hui, la France décline sa feuille de route. 

On peut déplorer toutefois le peu de mention fait des ODD. La mission qui est confiée au Pacte mondial des Nations-Unies est donc de sensibiliser et d’informer le secteur privé sur ces enjeux. On en revient donc à la nécessité d’un agir collectif. Notre mission d’information est cruciale, et c’est un travail de longue haleine. »

En terme d’outils concrets, que proposez-vous aux entreprises ?

« Il y a une mission d’information assez classique de notre organisation pour les organisations. Mais nous offrons une gammes d’outils différents, le premier étant ce qu’on appelle chez nous une communication sur le progrès. Les entreprises qui s’engagent au sein du Pacte mondial sont donc tenues chaque année de communiquer sur ce leurs progrès. Après, il y a la COP, la Conférence des parties, qui est une obligation faite aux entreprises adhérentes de communiquer tous les ans sur ce qu’elles font en faveur des dix principes du Pacte mondial et sur les objectifs de développement durable. Donc, c’est public, c’est transparent, c’est accessible. Le processus de collecte d’informations a changé. Ensuite, nous, on fournit des outils.

Après, effectivement, la difficulté, c’est notre habilité de lier ce que fait l’entreprise et les objectifs de développement durable.

Nous proposons aussi des ateliers ou des guides pratiques qu’on peut distribuer sur ce sujet là pour bien expliquer, pour communiquer toujours plus. Les objectifs ne suffisent pas, il faut mettre la main à la patte, et c’est ce que nous tentons de faire ! »

Propos recueillis par Eva Montford