C’est à l’occasion du keynote « Acteurs de l’innovation managériale, Osez ! » que Charlie Felgate nous présente sa vision du monde de l’entreprise. Vision leader chez Décathlon, il œuvre pour des démarches entrepreneuriales tournées vers l’extérieur, dans le but de favoriser la coopération entre tous les acteurs.
Après avoir obtenu un diplôme en international marketing and publicity, Charlie Felgate commence dans les rayons de Décathlon en 1998, avant d’arriver dans les bureaux à Lille en communication durant cinq ans. Il a ensuite quitté l’entreprise pour neuf ans, au cours desquels il a créé trois entreprises : une en traduction, un import-export cosmétique et une entreprise d’édition musicale. Après avoir enrichi ses expériences, il est retourné chez Décathlon en tant que directeur de la communication RSE pendant trois ans. Cela fait désormais trois ans qu’il occupe chez le géant du sport un poste quelque peu énigmatique… Vision leader !
Lors de la présentation de Vision 2030 que vous aviez effectuée en 2019 (désormais appelée Vision 2021), vous aviez dit « D’un point de vu écologique, on est déjà dans le temps additionnel ». Est-ce toujours le cas ?
Clairement, oui. On est dans le temps additionnel. La définition de développement durable est la même depuis 1987, caractérisée par une prise de conscience qu’il va falloir prendre soin des ressources planétaires aujourd’hui pour que le bien-être des générations futures soit assuré. Cela fait 34 ans qu’on dit ça, pourtant, les conditions sont pires qu’avant. Néanmoins, ce n’est pas dû à un manque d’informations, de ressources ou bien de solutions. Nous possédons tout cela, seulement cette définition ne fonctionne pas. C’est un sujet qui me préoccupe, à la fois dans ma vie personnelle et dans ma vie professionnelle. Décathlon est une entreprise qui s’est réveillée tardivement. Nous avons aujourd’hui une empreinte carbone de 10 millions de tonnes de CO2. Chaque jour qui passe et chaque produit fabriqué empire la situation. Forcément, c’est problématique, c’est pour cela que l’on parle de la régénération d’entreprise, qui est un concept difficile à comprendre pour une ancienne entreprise.
Par rapport à votre position de vision leader chez Décathlon, vous est-il possible d’observer des changements bénéfiques et significatifs par rapport à la transition écologique ?
En 2015 on ne faisait presque rien au niveau environnemental. Le progrès qu’on a fait depuis reste phénoménal. En 2026, 100% des produits seront éco-conduits. Entre 2016 et 2026, nos émissions de CO2 seront réduites de 52%. Ces progrès sont bien. Est-ce suffisant ? Pas du tout. On ne change pas le modèle, on fait seulement moins pire. La base des politiques de développement durable dans les entreprises c’est la réutilisation, le recyclage et la réparation. Alors oui le progrès arrive, mais est-ce qu’on a le temps ? La problématique se situe ici, c’est une question de propriété. Il faut partir dans un système d’économie d’usage à 100%, à ce moment-là, on aura fait un vrai progrès. Il faut changer le business model. Mais bon, le problème c’est que nous ne sommes pas seuls.
Est-ce qu’à votre échelle vous constatez un lien entre politique et entreprise qui permet de mener à des objectifs concrets et significatifs, ou bien est-ce que ces politiques restent en surface ?
C’est une question qui n’engage que moi dans ma réponse. Il y a 4 piliers : les citoyens, les ONG, les gouvernements et les entreprises. Il est très important que ces 4 piliers coopèrent pour un monde plus écologique. Decathlon est une entreprise mondiale, cependant les lois sont différentes d’un pays à l’autre. En France, nous avons un droit sur la circularité pour 2025. C’est une très bonne chose, qui va encourager les industriels à développer des produits davantage écolos puisqu’il n’y aura plus le choix. Je trouve que le rôle de l’Etat aujourd’hui n’est pas suffisant car il pourrait du jour au lendemain créer des lois plus contraignantes. Mais en même temps, nous vivons dans un paradoxe. Nous avons besoin de toujours générer du PIB afin de faire tourner l’économie. Mais on crée tellement qu’on pollue énormément. La solution c’est que les 4 piliers travaillent ensemble. Il y a beaucoup trop de responsabilités mises sur le dos des citoyens. Tout seul, ils ne pourront pas y arriver. Les ONG ont largement joué leurs rôles, mais il faut maintenant que les entreprises et les gouvernements prennent tout cela en considération. Il y a une école de pensée qui dit que les consommateurs sont les véritables vecteurs du changement. Quand ils achèteront uniquement des biens produit dans le respect de l’environnent, beaucoup d’entreprises seront en péril, car ces transitions sociétales prennent des années et ne se font pas du jour au lendemain.
Décathlon possède beaucoup de filiales à l’étranger, que pensez-vous du rôle que pourraient jouer les firmes internationales dans l’homogénéisation de pays sur la transition énergétique ?
Il va falloir qu’on soit fort ensemble. Le RE100 est un groupement de très grandes entreprises dont le but est de catalyser une transition vers les énergies renouvelables. Nous savons tous que c’est ensemble qu’on peut œuvrer pour travailler de concert afin d’avoir un impact sur les industries pour faire en sorte de rendre accessible les énergies renouvelables. En effet, c’est une question de coût. Il est vrai que les entreprises ont un rôle à jouer mais uniquement si elles sont ensemble, sinon elles ne vont pas y arriver.
Quelles sont vos attentes au World Forum for a Responsible Economy, qu’aimeriez-vous voir se développer dans les pratiques des entreprises présentes à ce forum ?
J’aimerais voir plus d’entraide et de transparence. Au lieu de regarder sur soi-même, il faut regarder vers les autres. Quelque part c’est un processus qui va un peu contre la nature humaine. Aujourd’hui, si on donne à l’être humain de base le choix entre un monde d’abondance et un monde de sobriété, il va naturellement choisir l’abondance. On fait donc face à quelque chose de très compliqué à résoudre : le comportement humain. Aujourd’hui, je me concentre moins sur l’écologie que sur l’anthropologie, car des solutions existent mais on choisit de ne pas les utiliser. En entreprise c’est la même chose, il ne sert à rien de dire que le monde va mal mais plutôt de s’interroger sur les raisons pour lesquelles on ne fait rien. C’est cette question que j’aimerais poser à tous les forums qui existent dans le monde.
Dans cette keynote, il a été dit que dans ce siècle, les nouvelles générations seront amenées à pratiquer une variété de métiers bien plus large au cours de leur vie, pensez-vous que cela va favoriser la coopération entre entreprises ?
Cela va beaucoup aider. Je prends mon exemple, j’ai quitté Décathlon pendant dix ans et je suis revenu il y a six ans. Entre temps, j’ai créé trois entreprises ce qui a enrichit mon expérience. Je pense qu’on devrait même regarder les législations de travail pour trouver un juste milieu entre un CDD et un CDI. Le CDI enferme les gens dans une bulle de confort qui n’est pas forcément bonne pour l’environnement. Pourquoi ne pourrait-on pas encourager les gens à quitter les entreprises pour revenir après. C’est un peu ma vision de l’entreprise et du monde de demain. En tout cas, plus on est diverse, plus on a de chances de trouver des solutions convenables à tous ces problèmes.
Flora GARDÉ