Les transports représentent une part non négligeable des émissions humaines, aujourd’hui. Or, les innovations technologiques demeurent encore parfois au service des véhicules individuels toujours plus imposants et polluants.
Et si on changeait enfin de prisme et d’objectif ? La solution pour une réelle transition réside dans une recherche davantage focalisée sur les alternatives durables, mais aussi dans l’adoption de politiques publiques audacieuses, enjoignant à modifier nos pratiques et nos habitudes.
Mobilités : la recherche au service de la transition durable
Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports, propose des éléments de contexte sur la question des mobilités. Le changement dans nos mobilités dans les dernières décennies ne réside pas tant dans le temps et le nombre de nos trajets. Ce qui diffère, c’est la vitesse permise par le développement de nouveaux moyens de transport : en 1 km à pied, on parcourt alors 10,15 ou même 20 km via d’autres modes de transports, sur le même laps de temps.
Force est de constater que nous n’en avons pas profité pour passer moins de temps dans les transports, mais plutôt pour faire des déplacements plus loin. Cette hausse des km parcourus entraîne nécessairement une hausse des émissions de base. À court terme, il nous faut entamer une véritable évolution dans la décarbonation de nos mobilités. En d’autres termes, il s’agit ici d’inverser la tendance.
Les mobilités douces, leviers d’une transition durable
Cette modification de nos habitudes de déplacement desservira de multiples enjeux, certes climatiques, mais pas uniquement. Il ne faut pas omettre les enjeux sanitaires, nos mobilités actuelles présentant des dangers parmi lesquels l’augmentation des maladies cardio-vasculaires liées au stress, les maladies dues aux pollutions de l’air ou encore la pollution sonore. Réduire le trafic est également un enjeu pour la consommation de ressources : métaux, pétroles, biomasse…
Il s’agit par ailleurs de rééquilibrer l’espace public dans lequel les infrastructures de transport prennent plus de place, pour re-végétaliser par exemple. Il serait aussi possible de mentionner les accidents, les enjeux de sédentarité dans nos mobilités ainsi que les actuelles inégalités sociales et territoriales d’accès aux mobilités.
Aujourd’hui, le constat est formel : la voiture prend une place excessive dans nos sociétés, comme le met en avant Mathieu Chassignet, ingénieur en mobilités durables auprès de l’ADEME. La présence de la voiture est excessive, car elle est omniprésente, jusque dans nos déplacements les plus courts. Un chiffre frappant : parmi ceux qui travaillent à moins d’un km de leur lieu de travail, 42 % des gens font ce trajet en voiture. Une place excessive que l’on peut imputer aux modèles de voitures toujours plus grands, plus lourds et plus puissants.
La voiture occupe enfin une place trop importante dans nos imaginaires, soutenue par des campagnes de publicité colossales et d’une efficacité redoutable qui la font apparaître comme “seul outil de liberté”.
Quelles alternatives à la voiture individuelle ?
Il en existe beaucoup ! Aurélien évoque toutefois une grande marge de progression possible. Il s’agit de ”développer un bouquet de mobilités alternatives”, notamment à la voiture individuelle, pour tendre vers des mobilités plus durables.
Entre autre solution à ces problématiques, il s’agirait de trouver des méthodes effectives pour réduire la durée ou la fréquence des voyages en voiture, ou encore privilégier un report modal sur les trains, les bus. Il faut préférer des moyens de transport moins émetteurs, ou bien favoriser un remplissage optimal des véhicules (éviter les trajets seul en voiture, favoriser par exemple le covoiturage). Cette sous-optimisation de la voiture peut aussi se trouver compensée par l’adoption de voitures plus légères, d’une éco conduite ou encore d’une amélioration du rendement des moteurs.
Enfin, il demeure envisageable de décarboner l’énergie via l’électrique, ou encore, pour d’autres transports plus difficiles à électrifier, via les biocarburants, carburants de synthèse… Il s’agirait aussi d’explorer le potentiel de véhicules intermédiaires entre le vélo et la voiture (vélo-voiture, par exemple), plus accessibles financièrement, moins lourds et plus sobres.
Le poids des politiques publiques
À partir de là émerge le besoin d’une plus grande cohérence dans nos politiques publiques, pour une transition effective. Une perspective trop peu étudiée est celle de la demande. Des modalités concrètes devraient être mises en place pour œuvrer à une réduction de la demande de déplacement. Mais jusqu’alors, la politique, dans ses grandes stratégies et ses plans urbains, n’a jamais inclus (ou a marginalisé) les objectifs de réduction des distances à parcourir pour les populations. Or, un objectif se doit d’être défini pour entrainer des mesures concrètes.
En France, des initiatives sont à l’œuvre dans le cadre de cette transition, des villes comme Bordeaux ou Strasbourg favorisent la pratique du vélo pour leurs habitants, et les entreprises montrent des résultats probants. Ce genre de mesures apparaît souvent impopulaire de prime abord, mais finit par satisfaire les populations. Néanmoins, la France a encore bien des progrès à faire, et a beaucoup à apprendre de ses voisins européens.
En Belgique, le principe de la rue scolaire a été développé pour sécuriser l’accès aux zones scolaires et donner envie de venir à l’école à pied ou à vélo. La rue scolaire est dans le code belge et commence à s’implémenter chez son voisin français : en France, lorsqu’une rue scolaire est mise en place, plus de 80 % des parents sont satisfaits et demandent à ce que la mesure perdure.
Une autre initiative est celle des plans de circulation pour limiter le trafic de transit entre différents quartiers. Elle émerge en premier lieu à Groningen aux Pays-bas. L’idée est de définir les quartiers et créer une étanchéité entre chaque quartier. Cette mesure participe entre autres d’une adoption massive du vélo dans le pays. La France reprend récemment le concept avec, entre autres, Lille comme ville pionnière.
En plus des mesures d’aménagements, les incitations financières s’avèrent également d’une efficacité redoutable. Les indemnités kilométriques vélo perçues en Belgique se développent en France, et les expérimentations montrent un franc succès à court terme, avec une multiplication par deux du nombre de salariés cyclistes. De même, le concept des péages inversé, venu des pays bas, permet une décongestion du trafic aux heures de pointes par différents procédés (incitation à changer ses horaires, incitation au télétravail ou au covoiturage), et cette méthode est actuellement à l’essai aux abords de Lille.
Entre autres illustrations de ces évolutions, Sébastien Morvan, co-fondateur du Brussels Beer Projects, détaille son initiative. Il essaye d’insuffler un engagement environnemental à cette entreprise, via des gestes audacieux visant précisément à une plus grande sobriété, entre autres sur la question des transports. Sébastien explique que la totalité de leurs employés (à part les commerciaux) se déplacent sur leur lieu de travail en train ou à vélo. Pour l’acheminement des cuves, ils ont essayé de favoriser des acheminements par le canal. Des actions de plus grande ampleur sont mises en place : autrefois fier d’exporter sur quatre continents, BBP a relocalisé ses productions, et l’entreprise a arrêté le grand export (c’est-à-dire dans les zones hors Europe). C’est la première brasserie belge à prendre cet engagement. Par ailleurs, les voyages de service dans des villes telles que Copenhague se substituent à des destinations plus locales, une décision bien réceptionnée dans les équipes.
Mathieu souligne l’originalité de la démarche, qui s’appuie sur le levier de sobriété, encore trop peu mis en avant aujourd’hui. Aujourd’hui, en somme, plus le groupe grandit, moins il exporte et il se recentre ainsi sur un circuit local. Une décision audacieuse, couplée à une démarche sincère de l’équipe pour reconnaitre ses acquis, mais aussi pointer du doigt les efforts qu’il reste à faire.
Chloé Pierre