Anthony Lecerf, fondateur du collectif It’s on us, Yann Kozon, développeur web indépendant, et Vincent Cattoen, directeur associé de l’agence Lemon Interactive se sont réunis pour la 16e édition du World Forum for a Responsible Economy pour aborder la démarche d’éco-conception du numérique. Au cours de cette table ronde, nos intervenants ont abordé les raisons, les moyens et les limites de la mise en œuvre d’un numérique plus responsable.
Selon ces professionnels du digital, des actions concrètes et efficaces doivent être engagées pour réduire l’impact de notre empreinte numérique sur l’environnement. L’élaboration d’un plan d’action est nécessaire dans une société connectée où le numérique est devenu un outil dont on ne peut se passer. Ainsi, il est important d’allier numérique et durable pour pouvoir construire une société prospère.
Le numérique, un secteur contribuant à la destruction de l’environnement
Anthony Lecerf, fondateur du collectif It’s on us qui accompagne les entreprises dans la transformation numérique, nous rappelle les impacts négatifs du numérique sur l’environnement. En effet, un produit numérique a des effets néfastes sur l’environnement tout au long de son cycle de vie, de sa production à sa fin de vie.
Le numérique représente 4% des émissions de gaz à effet de serre. Les terminaux (téléphones, ordinateurs, consoles…) représentent quant à eux 81% des émissions françaises du secteur, le reste étant produit par les centres informatiques d’hébergement des données (data centers). Le numérique a des effets dévastateurs sur l’environnement, tout particulièrement lors de la phase de production. Il contribue à l’épuisement des ressources, car l’assemblage de terminaux demande beaucoup de métaux et de minerais rares.
La création de terminaux est aussi extrêmement énergivore et multiplie le nombre de déchets, qu’ils soient toxiques ou non. Autant d’enjeux environnementaux auxquels sont confrontées les entreprises, qui doivent ainsi commencer à réduire leur empreinte écologique numérique dès aujourd’hui.
Pour répondre à ces enjeux environnementaux, cette table ronde a offert aux entrepreneurs différentes solutions et moyens d’actions. Nos intervenants appellent les entreprises à mettre en place des méthodes durables d’usage du numérique et à réinventer le monde du digital. L’éco-conception du numérique s’illustre par un triptyque : éthique, sobre, utile.
Différents degrés d’action pour pousser les entreprises à réduire leur empreinte numérique
Les intervenants ont proposé différents degrés d’action pour que chaque acteur puisse y trouver son compte : des modes d’action rapides et faciles ayant un faible impact ont ainsi été présentées, mais également des actions plus difficiles à mettre en œuvre, avec un impact significatif sur la réduction de l’empreinte numérique.
L’optimisation technique est une première solution, avec un impact modéré. L’objectif est de supprimer les informations superflues qui nuisent à l’environnement, car elles surchargent les data centers. Vincent Cattoen a ainsi souligné l’idée de sobriété selon laquelle il faut suivre une logique de réduction du « gras numérique », retirer tout ce qui est accessoire. En effet, les entreprises ont tendance à produire des informations superflues qui ne seront pas consommées par les utilisateurs. Ainsi, le design des sites doit être reconçu pour assurer la sobriété.
Yann Zodon donne alors des exemples de mise en œuvre à portée de toute entreprise : alléger le poids des sites et des carrousels en privilégiant les liens externes, les pictogrammes (moins lourd que les images) et les police standards.
Ensuite, les intervenants ont présenté des moyens plus complexes à instaurer dans nos habitudes de travail, mais avec un impact significatif. M. Lecerf propose notamment de reconcevoir la fiche technique des produits pour qu’ils réduisent leur impact environnemental tout en conservant la même fonction. C’est une mesure difficile à mettre en œuvre par les entrepreneurs car elle implique des changements forts, particulièrement dans la chaine de production, et un questionnement de l’acceptabilité client.
Les intervenants ont également proposé d’innover pour créer un nouveau système de création de valeur, c’est-à-dire un nouveau modèle économique. Pour cela, il faut questionner le modèle d’échange, de production et de gouvernance (prise de décision). L’Économie de la Fonctionnalité et de la Coopération (EFC) est un exemple d’innovation de modèle économique puisqu’elle promeut de nouveaux concepts opérationnels et des méthodes d’action visant à répondre aux limites du modèle économique traditionnel. Cependant, ce moyen est difficile à mettre en œuvre, car il nécessite un forte collaboration entre entreprises et une rupture avec nos modèles traditionnels.
Victor Cattoen impute enfin le manque de passage à l’action des entreprises vers une éco-conception du numérique à la peur du changement. En effet, le changement effraie les entreprises puisqu’il peut bouleverser leur équilibre économique. La sobriété, dans notre société de consommation capitaliste, est bien souvent synonyme de mort du profit dans l’imaginaire collectif. Pourtant, cette croyance peut être erronée : l’éco-conception du numérique n’empêche pas les entrepreneurs d’atteindre leurs objectifs, au contraire, ils peuvent les ouvrir à de nouveaux horizons !
Charlie BESSENAY