Interview

Carlos Moreno : “La mobilité de demain sera un acte responsable de vie”

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Jeudi 14 septembre, à l’occasion d’une journée organisée dans le cadre du World Forum for a Responsible Economy et dédiée à la mobilité intermodale, décarbonée et solidaire au sein du territoire de l’Artois, le Professeur Carlos Moreno est venu partager son expertise internationale sur le sujet. Entretien avec le créateur du concept de la ville du quart d’heure.

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Nous avons évoqué le fait que l’ensemble des actions climatiques mentionnées lors de cette matinée nécessite une interconnexion, notion largement mobilisée au sein de vos ouvrages. Par ailleurs, ce temps fort réunissait le monde politique, économique, et citoyen. Comment faire en sorte que cette interconnexion puisse exister ? Comment créer de la coopération entre ces différents types d’acteurs, qui ne portent pas forcément le même regard sur les enjeux de la mobilité durable ?  

Carlos Moreno (CM) : Nous sommes aujourd’hui confrontés à des défis qui sont majeurs. Le premier des défis est climatique : nous avons une planète en ébullition, ce ne sont pas mes mots, mais ceux du secrétaire général des Nations unies, António Guterres. Le second défi est celui de l’économie, avec la pauvreté, et les fractures économiques existantes. Le troisième et dernier défi actuel est social, en lien notamment avec la thématique de l’exclusion.  

Seul, personne ne peut venir à bout de chacun de ces défis, car nous vivons dans un monde complexe. Complexus, en latin, renvoie à la notion d’ensemble, où le tout vaut plus que la somme des parties. De nouveau, ce n’est pas moi qui le dis, mais le philosophe et sociologue Edgar Morin, grand penseur français de la complexité. Il nous a appris que nous vivons dans un monde d’interdépendances, où chacun s’apporte de la valeur mutuellement. C’est parce que les gens se rencontrent, que l’on peut faire émerger des solutions, des idées, qui peuvent être mises en œuvre. Comme le dit le proverbe africain, seul, j’irai plus vite, mais c’est ensemble que l’on ira plus loin. Et la vitesse ne conduit pas forcément à la réussite. Aujourd’hui, nous faisons le constat que personne n’est capable d’arriver au bout de ces enjeux à lui seul.  

De la même manière, ce ne sont pas les gouvernants nationaux, régionaux, locaux, les secteurs économiques, les citoyens, ou les scientifiques, chacun dans leur coin, comme des nageurs dans leur couloir, qui pourront y parvenir. Il faut qu’il y ait une interconnexion très forte, mais aussi l’humilité de reconnaître ses propres limites.  

Quand on saisit que travailler dans cet écosystème signifie que l’on est interdépendant, l’on peut alors peu à peu créer des conditions pour vivre autrement, travailler autrement, aimer son territoire, discuter avec des gens qui ne pensent pas comme nous, accepter qu’il y ait d’autres manières de fonctionner. C’est voir la richesse que chacun peut apporter, plutôt que le choix de la verticalité, de rester cantonner à son rôle, qui ne peut être que limité, et faire face à l’angoisse de ne pas y arriver.  

À quoi ressemblera la mobilité de demain ?  

CM : La mobilité de demain sera liée à la volonté d’offrir une meilleure qualité de vie à nos concitoyens et concitoyennes. Nous ne pouvons plus accepter que la mobilité représente aujourd’hui plusieurs heures quotidiennes, juste pour se rendre sur un lieu de travail. Nous ne pouvons pas accepter qu’elle se fasse dans les équipements dont nous disposons actuellement, ni même qu’elle représente un mauvais moment de la journée. Encore pire, nous ne pouvons plus accepter de continuer à empoisonner notre planète, et nous-même, avec le CO2 et les particules fines qui s’en dégagent.  

La mobilité de demain sera un acte responsable de vie. Elle sera de se déplacer, non pas seulement parce que cela est nécessaire, mais par envie de le faire. Cette mobilité prendra diverses formes : à pied, à vélo mécanique ou électrique, à trottinette, en transport en commun. Elle devra être responsable, chaque fois, pour évaluer notre contribution au bien-être commun.  

Comment faire en sorte que cette mobilité soit possible ? Quels en sont les freins ?  

CM : Cette mobilité interconnectée va passer par le fait de changer ses habitudes, et de perdre les réflexes que nous avons actuellement autour de la voiture individuelle. Nous allons peu à peu sortir du modèle formaté au cours du XXe siècle, pour entrer dans une mobilité beaucoup plus responsable, collective, et dans laquelle la qualité de vie sera omniprésente.  

Pensez-vous que l’argument de la qualité de vie sera suffisant pour inciter au changement de pratiques et d’habitudes ?  

CM : À un niveau plus global, nous avons une planète en feu. Nous le voyons aujourd’hui, avec des canicules se poursuivant jusqu’au mois de septembre, ou la difficulté même pour certains de respirer à l’extérieur. Nous allons vers un monde dans lequel nous n’aurons pas le choix. Parce qu’au-delà de la question de la qualité de vie, il s’agit même d’une qualité de survie.  

Le changement climatique a des impacts, menant notamment à des événements très violents. Nous voyons des situations terribles, telles que la sécheresse, les inondations, la perte des récoltes au niveau de l’agriculture, la diminution de la biodiversité. Tout cela est peu à peu en train de nous encercler. Il s’agit là également d’une succession d’évènements systémiques. Nous avons conscience qu’une adaptation rapide est nécessaire. L’intelligence de l’homme réside aussi dans son adaptabilité. C’est le message essentiel à partager à nos concitoyens, entreprises, politiques : n’attendons pas d’être au pied au mur, tant du point de vue de la mobilité, que celui de notre responsabilité sociale, sociétale et environnementale.