Communiqués de presse

26 septembre 2023

Sonia LAVADINHO : « La dimension sociale de la mobilité est essentielle »

Anthropologue urbaine et géographe, nommée par Traits Urbains parmi les 100 personnalités qui font la ville en 2021, Sonia Lavadinho est la fondatrice de Bfluid, un cabinet spécialisé dans la recherche & la prospective en mobilité et développement territorial durables. Intervenue au cours du World Forum Arras, évènement axé sur les défis et ambitions du territoire en matière de mobilité durable, cette experte nous partage dans cette interview sa vision sur la place de l’humain dans les problématiques de mobilité, et retrace les opportunités que les entreprises ont à saisir dans ce domaine. Elle propose également des pistes d'action pour guider ces entreprises vers un avenir plus responsable, tourné vers la mobilité durable.

La mobilité est un véritable sujet d'actualité. Ce sujet était-il autant abordé par le passé? 

Sonia Lavadinho (SL) : Je pense que la mobilité fait partie des sujets qui touchent vraiment les gens, les modes de vie, et les choix. C'est un sujet qui existe depuis toujours. Au siècle dernier, l'enjeu construire des rails, ou encore des autoroutes, suscitaient déjà beaucoup de discussions. Je crois personnellement que c'est un sujet qui a toujours passionné. 

Ce qui est peut-être nouveau, c'est l'importance que la mobilité a pris dans nos vies, au sens du temps que l'on passe à se déplacer. Cela est en lien direct avec le budget des ménages : alors que celui de l’alimentation est descendu, celui des loyers et de la mobilité ont, quant à eux, considérablement augmenté. Elle occupe donc plus d’argent et de temps, cela suscite donc peut-être plus d’intérêt.  

Quels sont les biais et points oubliés lorsque nous parlons de mobilité selon vous ?  

SL : De mon point de vue, nous avons deux biais concernant la mobilité : un biais technologique, que nous avons évoqué au cours du World Forum Arras, autour des Smart City et solutions de Smart Mobility, et un biais infrastructurel. Nous croyons toujours que ce sont les grandes infrastructures qui vont régler le problème de mobilité. Les efforts consentis se concentrent beaucoup sur ces deux leviers, alors que nous savons que ce ne sont pas les bons.  

Les bons leviers sont d’agir sur la mobilité quotidienne, la place donnée au corps, au mouvement, à la marche, au vélo. Il faut considérer les trajets de proximité et les questions quotidiennes. C'est une question de chiffres : si l’on prend ceux issus de la démarche Genève 2050 qui représentent globalement les territoires, dans le Grand Genève, 70 % des trajets sont faits pour les achats et loisirs, et la moitié des trajets de moins de 3 km sont faits en voiture, alors que l'on sait pertinemment qu'avec ce genre de proximité, on pourrait faire autrement. 

Nous voyons bien que ces mobilités du quotidien suscitent peu d'intérêt, alors que ce sont celles qui touchent le plus les gens. Au fil des décennies, on observe un hiatus entre les réponses apportées, et les problèmes que nous connaissons tous, que sont l’entravement des mobilités du quotidien, la congestion, la perte de temps.  

Au cours de vos interventions, vous rappelez combien la mobilité reste un sujet sociétal et social, au-delà de sa perspective environnementale. Pourquoi ces aspects semblent-ils souvent oubliés lorsque l’on parle de mobilité selon vous ? 

SL : La dimension sociale de la mobilité est essentielle. Je pense que l’on oublie que lorsque nous marchons par exemple, il y a ce qu’on appelle une texture du trajet : vous parlez avec les commerçants, discuter avec des voisins, vous croisez des gens même que vous ne connaissez pas. Cette dimension de la mobilité en tant que vecteur de socialisation est vraiment très présente. Ce qui est important à retenir, c’est que cet oubli est entre autres lié à un biais de mesure.  Prenez l’efficacité de la mobilité par exemple : pour la mesurer en France, on retient le nombre de km parcouru. De même du côté de la mesure du succès d’un transport public, on regarde le nombre de voyageurs par kilomètre, ce qui signifie que plus les gens parcourent de la distance, mieux c’est réussi. Est-ce l’objectif ? Je n’en suis pas si sûre.

En Suisse, nous n’avons pas ce biais, car nos statistiques mesurent certes la distance, mais aussi le temps passé, ainsi que le nombre d’étapes. Cette logique de mobilité longue distance, je ne dis pas qu'elle n’a pas à sa place, mais dans les villes, la bonne métrique est de rapprocher les gens. Cela implique de mettre en place des politiques de co-présence, de proximité, de requestionner l’emplacement des choses, de revitaliser les quartiers des gares par exemple. Il faut découpler la notion de ville de la notion de distance, et faire en sorte que distance et proximité soient complémentaires, assemblées au même endroit pour que les gens puissent passer de l’une à l’autre.

Pourquoi les entreprises ont-elles un intérêt à se saisir du sujet ?

SL : Le trajet domicile travail ne devrait pas être le focus exclusif de notre attention, y compris pour les entreprises. La mobilité est une activité holistique. Notre qualité de vie est intimement liée au temps que nous passons dans l'espace public. J'entends par là que quand vous êtes dans votre bureau ou quand vous êtes dans votre maison, vous pourriez être dans n'importe quelle ville, cela n'a pas d'importance. Ce qui change fondamentalement, c’est la qualité de vie d'une ville à l'autre, et cela est lié grandement à la mobilité. Consommant 15 à 20 h de notre semaine, elle occupe une part disproportionnée de notre temps dehors, donc la qualité de notre mobilité va beaucoup influer sur les choix de vie de chacun, et donc l’attractivité du territoire, le fait de pouvoir y installer son entreprise à long terme. Elle va permettre de décréter si la ville est supportable, agréable, désirable. Cela a un impact économique direct. Il est donc essentiel que les entreprises s’adonnent à créer un cadre de mobilité agréable à ses employés.

Aujourd’hui, beaucoup d’externalité ne sont pas intégrées à ces discussions, telles que la santé, les questions liées à la qualité du lien social entre collègues, à la qualité de la vie de famille. Une enquête IFOP démontrait que le temps accordé aux déplacements chez les Franciliens entraînait des conséquences majeures sur des facteurs parfois inattendus. A titre d’exemple, les personnes ne pouvant créer des liens avec leurs collègues en dehors de leurs horaires de travail sont plus isolées, moins attachées à leur équipe et à leur emploi. Nous le voyons notamment dans les aspirations des millennials et plus jeunes, qui tendent vers des environnements de qualité, comprenant des services de proximité, une bonne utilisation des temps de pause, et des temps après le travail, avec globalement un raccourcissement du temps de mobilité ou alors une grande qualité de ce temps. Ce sont des facteurs qui pèsent dans la stabilité de l’emploi, et donc sur le turn-over et la rétention de talents.

Ces impacts sont réels, donc les entreprises ont tout intérêt à faciliter la vie de leurs employés sur ce sujet pour préserver leur capital humain. Vitalité humaine, vitalité de la ville et vitalité de l'économie sont des vases communicants qui se renforcent.  

Comment les entreprises peuvent-elles agir, quels sont les leviers à mobiliser ?

SL : Deux vecteurs me semblent très importants. Premièrement, le type de service mis à disposition non seulement au sein de l’entreprise, mais également dans le quartier de cette dernière. Par exemple, le soutien de crèches, de conciergerie, de petits commerces, de restaurants, de choses qui facilitent la vie des employés. Développer ces éléments de sorte qu’ils soient vraiment connectés, proches des gares, proches des hubs de mobilité, et à ce moment-là, ce sont ces derniers qui deviennent fédérateurs de tous ces services, et de réaménager les campus en ce sens. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il est essentiel de proposer une dimension servicielle.

Enfin, une des mesures ayant le plus de succès est de donner plus de temps aux gens. Cela passe par le fait de détendre les horaires de travail, de laisser place au temps partiel, au coworking, mais aussi par la création de moments non-productifs, qui vont paradoxalement venir augmenter la productivité, la cohésion et la fidélité des employés.

Plus l’on fera de nos lieux de mobilité des lieux de vie, plus l’on associera lieu de mobilité et lieu d'activité professionnelle, et sera créateur de sens et de qualité de vie pour les gens. Quelque part, si le problème a été d'associer le travail à nos vies, je pense que la solution est de raccorder le travail à nos vies.

16 septembre 2023

Carlos MORENO : «La mobilité de demain sera un acte responsable de vie »

Jeudi 14 septembre, à l’occasion d’une journée organisée dans le cadre du World Forum for a Responsible Economy et dédiée à la mobilité intermodale, décarbonée et solidaire au sein du territoire de l’Artois, le Professeur Carlos Moreno est venu partager son expertise internationale sur le sujet. Entretien avec le créateur du concept de la ville du quart d’heure.

Nous avons évoqué le fait que l’ensemble des actions climatiques mentionnées lors de cette matinée nécessite une interconnexion, notion largement mobilisée au sein de vos ouvrages. Par ailleurs, ce temps fort réunissait le monde politique, économique, et citoyen. Comment faire en sorte que cette interconnexion puisse exister ? Comment créer de la coopération entre ces différents types d'acteurs, qui ne portent pas forcément le même regard sur les enjeux de la mobilité durable ?  

Carlos Moreno (CM) : Nous sommes aujourd'hui confrontés à des défis qui sont majeurs. Le premier des défis est climatique : nous avons une planète en ébullition, ce ne sont pas mes mots, mais ceux du secrétaire général des Nations unies, António Guterres. Le second défi est celui de l'économie, avec la pauvreté, et les fractures économiques existantes. Le troisième et dernier défi actuel est social, en lien notamment avec la thématique de l'exclusion.  

Seul, personne ne peut venir à bout de chacun de ces défis, car nous vivons dans un monde complexe. Complexus, en latin, renvoie à la notion d’ensemble, où le tout vaut plus que la somme des parties. De nouveau, ce n’est pas moi qui le dis, mais le philosophe et sociologue Edgar Morin, grand penseur français de la complexité. Il nous a appris que nous vivons dans un monde d’interdépendances, où chacun s’apporte de la valeur mutuellement. C'est parce que les gens se rencontrent, que l’on peut faire émerger des solutions, des idées, qui peuvent être mises en œuvre. Comme le dit le proverbe africain, seul, j’irai plus vite, mais c’est ensemble que l’on ira plus loin. Et la vitesse ne conduit pas forcément à la réussite. Aujourd’hui, nous faisons le constat que personne n’est capable d’arriver au bout de ces enjeux à lui seul.  

De la même manière, ce ne sont pas les gouvernants nationaux, régionaux, locaux, les secteurs économiques, les citoyens, ou les scientifiques, chacun dans leur coin, comme des nageurs dans leur couloir, qui pourront y parvenir. Il faut qu'il y ait une interconnexion très forte, mais aussi l’humilité de reconnaître ses propres limites.  

Quand on saisit que travailler dans cet écosystème signifie que l’on est interdépendant, l’on peut alors peu à peu créer des conditions pour vivre autrement, travailler autrement, aimer son territoire, discuter avec des gens qui ne pensent pas comme nous, accepter qu’il y ait d’autres manières de fonctionner. C’est voir la richesse que chacun peut apporter, plutôt que le choix de la verticalité, de rester cantonner à son rôle, qui ne peut être que limité, et faire face à l’angoisse de ne pas y arriver.  

À quoi ressemblera la mobilité de demain ?  

CM : La mobilité de demain sera liée à la volonté d’offrir une meilleure qualité de vie à nos concitoyens et concitoyennes. Nous ne pouvons plus accepter que la mobilité représente aujourd’hui plusieurs heures quotidiennes, juste pour se rendre sur un lieu de travail. Nous ne pouvons pas accepter qu'elle se fasse dans les équipements dont nous disposons actuellement, ni même qu’elle représente un mauvais moment de la journée. Encore pire, nous ne pouvons plus accepter de continuer à empoisonner notre planète, et nous-même, avec le CO2 et les particules fines qui s’en dégagent.  

La mobilité de demain sera un acte responsable de vie. Elle sera de se déplacer, non pas seulement parce que cela est nécessaire, mais par envie de le faire. Cette mobilité prendra diverses formes : à pied, à vélo mécanique ou électrique, à trottinette, en transport en commun. Elle devra être responsable, chaque fois, pour évaluer notre contribution au bien-être commun.  

Comment faire en sorte que cette mobilité soit possible ? Quels en sont les freins ?  

CM : Cette mobilité interconnectée va passer par le fait de changer ses habitudes, et de perdre les réflexes que nous avons actuellement autour de la voiture individuelle. Nous allons peu à peu sortir du modèle formaté au cours du XXe siècle, pour entrer dans une mobilité beaucoup plus responsable, collective, et dans laquelle la qualité de vie sera omniprésente.  

Pensez-vous que l’argument de la qualité de vie sera suffisant pour inciter au changement de pratiques et d’habitudes ?  

CM : À un niveau plus global, nous avons une planète en feu. Nous le voyons aujourd’hui, avec des canicules se poursuivant jusqu'au mois de septembre, ou la difficulté même pour certains de respirer à l'extérieur. Nous allons vers un monde dans lequel nous n'aurons pas le choix. Parce qu’au-delà de la question de la qualité de vie, il s’agit même d’une qualité de survie.  

Le changement climatique a des impacts, menant notamment à des événements très violents. Nous voyons des situations terribles, telles que la sécheresse, les inondations, la perte des récoltes au niveau de l’agriculture, la diminution de la biodiversité. Tout cela est peu à peu en train de nous encercler. Il s’agit là également d’une succession d’évènements systémiques. Nous avons conscience qu’une adaptation rapide est nécessaire. L'intelligence de l'homme réside aussi dans son adaptabilité. C’est le message essentiel à partager à nos concitoyens, entreprises, politiques : n'attendons pas d'être au pied au mur, tant du point de vue de la mobilité, que celui de notre responsabilité sociale, sociétale et environnementale.  

20 novembre 2017

Svenia Busson : “Le travail se transforme, il est beaucoup plus axé sur l’humain”

 

Svenia Busson est membre de Mangrove, une “communauté globale de personnes qui partagent les mêmes valeurs et collaborent pour se développer personnellement”, comme l’explique son site. Créée en 2016, Mangrove invente une nouvelle façon de travailler, fondée sur l’entraide et la liberté. Svenia Busson nous en a dit un peu plus...

 

Quelle a été la genèse de Mangrove ? À quel besoin est-ce que ça répondait ?

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On a créé Mangrove car on ne se retrouvait dans aucune voie professionnelle qui s’ouvrait à nous, qui sortions d’écoles de commerce ou d’ingénieur : ni les grands groupes, ni les start-ups, ni le travail freelance en solitaire. On a donc créé notre propre façon de travailler, qui repose sur le besoin de travailler en collectif. 

Nous sommes chacun sur nos missions et nos métiers à nous -- la plupart d’entre nous sont freelance --, mais au sein d’un écosystème de gens qui s’entraident. Mangrove s’est fondé sur trois grandes valeurs qui étaient extrêmement importantes pour nous : la bienveillance, la liberté et la transparence. C’était fondamental qu’il n’y ait pas de compétition et qu’on soit libres de travailler quand et avec qui on voulait.

 

Concrètement, à quoi ressemble cette manière de travailler ?

Il n’y a pas une journée pareille. On passe un cinquième de notre temps sur Mangrove, à développer la communauté, et le reste du temps sur nos jobs. En fait, le temps se divise en trois : le travail pour Mangrove, le boulot qui nous fait vivre, et la partie fun. Parce que c’est très important aussi de prendre du temps pour soi et pour se développer.

 

Combien êtes-vous aujourd’hui ?

Mangrove a été créé par cinq garçons et je suis venue juste un tout petit peu après. À un certain point nous avons été 120 dans la communauté, mais nous sommes en pleine refonte et nous ne sommes plus que 40 aujourd’hui. On avait des Mangrove Builders qui faisaient vivre la communauté et créaient des produits, et puis des Mangrove Friends qui partageaient nos valeurs mais ne faisaient rien. Aujourd’hui on ne veut que des gens extrêmement engagés, prêts à donner du temps, de l’énergie et de la passion. Donc on a supprimé Mangrove Friends et encouragé les membres de la communauté à plus s’impliquer.

On essaie de créer des hubs partout dans le monde pour favoriser les liens concrets. Par exemple, en ce moment, on a cinq personnes ultra motivées qui sont en train de lancer un hub à Berlin. Après, nous sommes beaucoup de digital nomades qui voyagent tout le temps et ne sont pas vraiment établis quelque part. Mais nous avons beaucoup de membres en Europe et quelques-uns en Asie et aux États-Unis.

 

Comment réussit-on à travailler ensemble ?

Nous avons créé plusieurs outils pour travailler efficacement et collaborativement, et pour mieux se sentir. Ils sont fondés sur nos trois valeurs. Par exemple, nous avons développé pour notre “noyau dur” un outil, Rachid, qui nous demande tous les jours comment on se sent dans notre travail et ce qu’on a envie de partager avec les autres. Ça aide à voir comment se sent toute l’équipe, alors même qu’on est dispersés physiquement. On peut suivre l’évolution de chacun. On a aussi mis en place un outil d’apprentissage pair à pair, ouvert cette fois à toute la communauté : chaque mois, il vous demande ce que vous voulez apprendre et ce que vous avez envie d’enseigner. Et notre algorithme “matche” les gens, leur permet de se rencontrer et de créer des liens. Donc Mangrove, ce n’est pas que des gens qui s’amusent ! On est dans la construction, on développe des choses très concrètes. D’ailleurs, Rachid a été acheté par RTE, une très grosse entreprise d’électricité, et est utilisé par plus de 100 personnes. C’est beau de voir qu’on a créé des outils qui ont un impact dans d’autres entreprises.

En plus de ça, on organise des retraites tous les trois mois : tous ensemble, on loue une grande maison où on passe une à trois semaines pour travailler tous ensemble dans un cadre différent, chacun sur ses projets. C’est un momentum collectif avec des gens très motivés et des compétences différentes, donc on s’entraide, c’est vraiment du boulot ! C’est un cadre de vie qui nous plaît vraiment, dans lequel on grandit beaucoup. Et on est trois fois plus efficaces.

 

Comment voyez-vous le travail évoluer, y compris dans les entreprises “classiques” ?

Le travail se transforme : il est beaucoup plus axé sur l’humain. Il y a tellement de choses que la machine va pouvoir faire qu’il va bien falloir remettre l’humain au centre de tout. C’est pour cela que la bienveillance est aussi importante. Il faut que cela parte des managers, qui acceptent de perdre leur pouvoir et leur situation dominante. Le manager doit instaurer une confiance pour que les gens osent innover et faire des choses hors-cadre. On est très inspirés par le livre Leaders Eat Last, de Simon Sinek, qui évoque comment les managers peuvent transformer la culture de l’entreprise. Cette transformation culturelle est vraiment clé.

 

Qu’espérez-vous pour l’avenir de Mangrove et du travail ?

Justement, notre démarche actuelle de repenser tout le modèle de Mangrove repose sur le fait que nous ne voulons plus nous focaliser sur le futur du travail. Nous voulons être un écosystème de gens prêts à s’entraider et à vivre en collectif. On se concentre beaucoup sur les personnes, on s’entraide, on cherche à savoir comment les autres se sentent. On a envie de se recentrer sur l’humain et la communauté, et de faire moins de choses à l’extérieur. Nous allons continuer de développer des outils d’entraide. Notre but, c’est le développement personnel de nos membres. Que chaque personne qui passe par Mangrove connaisse un développement immense de sa personne et en sorte fortifié.


 

Revivez son intervention au 11e WFRE sur la Collection 

30 octobre 2017

Laïla Mamou : « Comment peut-on espérer avancer en laissant de côté 50% de la population ? »

Laïla Mamou est la présidente du directoire de Wafasalaf, leader du marché du crédit à la consommation au Maroc. Depuis sa prise de fonction en 2004, elle oeuvre pour une plus grande diversité au sein de son entreprise, à tous les échelons. Elle nous explique pourquoi la diversité est fondamentale pour les entreprises et comment aider les femmes à accomplir leur potentiel.

 

53% de collaboratrices au sein de Wafasalaf : comment êtes-vous arrivée à ce résultat ?

Cela fait tout simplement partie de la stratégie RH : je vis dans un pays où 50% des personnes sont des femmes, et si au moment du recrutement aucune différence n’était faite entre un homme et une femme en termes de salaire ou de responsabilité, je dirais presque que le travail serait facile. À Wafasalaf, nous n’avons pas mené une démarche spécifique : simplement quand il y a un poste à pourvoir, nous nous concentrons uniquement sur les compétences et le potentiel. Cela fait qu’aujourd’hui, nous avons 53% de collaboratrices et 45% de femmes au niveau du comité directeur. La mixité est donc vraiment à tous les niveaux chez nous.

 

Justement, comment aider les femmes à atteindre les postes à responsabilité ?

Cela commence à devenir plus compliqué pour les femmes entre 30 et 35-38 ans, lorsqu’elles ont des enfants. Il faut en tenir compte pour que cette étape ne soit pas un frein, voire une source de blocage dans leur carrière. Dans ces moments-là, je m’adapte et je peux accepter qu’une femme puisse sortir avant l’heure ou démarrer un peu en retard : il faut être compréhensif et ne pas appliquer les règles du travail sans distinction. Quand j’ai en face de moi une femme brillante avec du potentiel et qui a des enfants à charge (il n’y a pas assez de structure de crèches au Maroc), je ne vais pas programmer de réunions en fin de journée ou de team-building qui exige qu’elle s’absente de chez elle plus d’une journée. C’est intuitif. Le pendant de cela, c’est de travailler sur la responsabilité : quand on accepte des exceptions, il faut être clair pour qu’il n’y ait pas d’abus et encourager la rigueur, la responsabilité et l’engagement.

L’autre levier important, c’est de travailler avec les hommes : si les hommes recrutent, ce sont aussi eux qui distribuent les promotions. J’ai fait de la mixité un levier de performance et c’est un sujet que je traite avec tous les collaborateurs. Chaque année au mois de mars, nous organisons un cycle de conférences sur le leadership au féminin, où j’invite des hommes et des femmes inspirants à prendre la parole devant mes collaborateurs et nos clients. Et j’arrive parfois à 60% de présence masculine ! Nous organisons cette conférence en interne, sans passer par une agence de communication. Ce travail des équipes est important car il aide à les sensibiliser  en amont lorsqu’ils sont acteurs du séminaire, et pas seulement consommateurs. Chaque année, c’est une équipe différente qui s’en occupe.

 

... Et puis par ailleurs, toutes les études sont très claires : les entreprises qui ont des femmes à leur tête sont performantes.

 

En quoi la diversité est-elle un levier de performance pour les entreprises ?

J’ai appris ça sur le tas : on avait commencé à monter des plateformes téléphoniques et par la force des choses je me suis retrouvée avec une plateforme où il n’y avait que des hommes, et une autre où il n’y avait que des femmes. Et ça ne marchait pas du tout, les centres d’intérêt restaient trop similaires d’un côté comme de l’autre. J’ai commencé à mixer et tout de suite les résultats ont été visibles des deux côtés. La mixité génère une très bonne émulation, je l’ai vu et vécu, c’est sain, c’est efficace. J’aime bien la diversité dans les équipes, et pas uniquement concernant le genre. Le Maroc est une plateforme qui jouit d’une position géographique avantageuse qui lui permet d’améliorer la diversité, notamment au sein des entreprises. Ce brassage parmi les équipes permet d’ouvrir le champ vers d’autres cultures et cela ne peut être qu’enrichissant. Et puis par ailleurs, toutes les études sont très claires : les entreprises qui ont des femmes à leur tête sont performantes.

 

Quels sont les principaux obstacles que vous avez rencontrés ?

Comme je le disais, les problèmes surviennent généralement quand les enfants sont en bas âge : on milite pour avoir des facilités qui n’existent pas encore  au Maroc, comme les crèches et le travail à mi-temps. Ensuite, j’identifie trois principaux obstacles.

D’abord, un frein interne : certaines femmes ne croient pas en leur potentiel et ne se jettent pas à l’eau, considérant que c’est déjà presque un privilège que de travailler. En tant que femme, je suis moi-même passée par plusieurs situations avant d’arriver là où j’en suis aujourd’hui. Et c’est justement pour cela que je mets des coachs à disposition de certaines femmes quand je sens qu’elles ont besoin de se libérer de ces freins.

Ensuite, il y a un frein social : au Maroc, une femme doit d’abord être une bonne mère et une bonne épouse, et le reste vient après. Il existe une pression sociale et familiale très forte.

Enfin, souvent le salaire de la femme qui travaille va servir en priorité à combler son absence quant à la gestion de son foyer. Comme si elle devait payer son droit au travail.  Et c’est malheureusement à cause de cette pression que certaines se retrouvent à abandonner leur plan de carrière.

 

Il y a donc des défis à relever au niveau de la société ?

La constitution est claire : rien n’interdit aux femmes de prendre leur place. L’article 19 le dit : “L'homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental (...). L'Etat marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes.” Donc nous avons un cadre juridique qui est posé. J’ai beaucoup parlé des femmes cadres, et c’est vrai qu’il y a un plafond de verre, même si la situation s’est améliorée : il y avait 26% de femmes  cadres supérieurs et dans les professions libérales en 2005, et on était à 34,8% en 2015. Mais il y a aussi un plancher de terre dans le monde rural. En effet, même si l’accès à l’éducation est aujourd’hui obligatoire, les petites filles ont du mal à poursuivre leurs études. Le mariage qui arrive souvent trop tôt y est également pour beaucoup. Ainsi, trop de femmes n’ont pas un niveau d’éducation élevé, et c’est pour cela que certaines entreprises lancent des initiatives d’alphabétisation afin de leur donner les moyens d’évoluer.

 

Quels sont vos espoirs pour l’avenir ?

En ce qui concerne Wafasalaf, j’aimerais qu’elle devienne un modèle de satisfaction pour tous les collaborateurs. Et, qu’en quittant Wafasalaf, ils emportent avec eux, presque dans leur ADN, les valeurs qu’ils ont contribué à mettre en place.

Concernant le taux d’activité des femmes, il est aujourd’hui à seulement 25%. Mon rêve, ce serait qu’il arrive à 50%. Parce que si l’on veut une croissance soutenue pour résorber le chômage, il faut que les femmes participent, créent de la valeur, paient des impôts, soient un acteur économique. Nous n’avons pas le choix. Les femmes doivent pouvoir  revendiquer leur place et leur rôle. Comment peut-on espérer avancer en laissant de côté 50% de la population ?  Et puis mon vœu le plus cher serait que le taux d’alphabétisation des femmes atteigne les 100%. Tout le monde doit avoir accès à l’éducation et je suis très optimiste, car les pouvoirs publics en font aussi l’une de leurs priorités.

 


 

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09 octobre 2017

Michael Priddis: “Nous ne faisons pas face à la fin du travail, mais au début d’une nouvelle ère de travail”


Michael Priddis
est le fondateur et PDG de Faethm, une toute jeune entreprise australienne qui opère déjà au niveau international. La mission de Faethm est d’aider entreprises, gouvernements et communautés à générer de la valeur économique et sociale grâce aux technologies émergentes, comme la robotique ou l’intelligence artificielle. Il nous explique en quoi ces technologies ouvrent une nouvelle ère pour le monde du travail, et comment mener cette transition sans oublier personne en route.

 

Quel manque cherchiez-vous à combler quand vous avez monté Faethm ?

Je suis un expert des produits. J’ai passé 15 ans à concevoir et créer des produits technologiques et des entreprises et j’ai travaillé aux avant-postes de la technologie. Et j’ai vu la même chose dans toutes les industries et dans tous les pays où j’ai travaillé : à mesure que la technologie et l’innovation progressent, les entreprises ont souvent besoin de moins de personnel. L’automatisation du travail était un corollaire des innovations sur lesquelles je travaillais. Fin 2014, alors que j’étais associé au Boston Consulting Group, j’ai co-dirigé un programme de recherche de 9 mois avec la Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation (CSIRO) pour étudier l’effet de la technologie sur les emplois en Australie. Puis j’ai quitté le BCG il y a un an pour créer mon entreprise : nous utilisons la data science pour élaborer des analytiques qui aident les entreprises et gouvernements à comprendre les implications de ces nouvelles technologies.

 

Votre produit star s’appelle Tandem. Que fait-il ?

Tandem aide les entreprises et les gouvernements à observer les effets de la technologie sur n’importe quelle population (une entreprise, une filiale, une équipe, une communauté, une ville, une industrie, etc.). Nous collectons des données sur la nature du travail et les caractéristiques d’une industrie, ainsi que sur le délai dans lequel la technologie devrait avoir un impact sur cette industrie. Ensuite, nous modélisons ces données sous forme de tendances qui aident les entreprises à voir comment faire transitionner leurs équipes et les gouvernements à prendre des décisions concernant les investissements dans l’industrie, les politiques d’emploi, d’immigration, de fiscalité, etc.

 

Donc c’est très large.

Oui, absolument. On va changer le monde !

 

Quelles nouvelles ressources apportez-vous aux entreprises et gouvernements ?

Nous sommes en train de construire une communauté de techniciens R&D, et j’ai eu la chance de pouvoir recruter une équipe très capable. Tous ensemble, nos compétences vont de la data science aux opérations en passant par la stratégie, les produits, les modes d’opération, les modèles économiques, l’investissement, la prévision, etc. Et nous synthétisons toutes ces manières différentes de voir la donnée pour fournir à nos partenaires des informations qui leur sont utiles.

 

Quelles sont les implications socioéconomiques de votre travail ?

Nous n’observons pas simplement les effets de la technologie sur les entreprises, mais également sur les communautés. Prenons l’exemple d’Amelia, une intelligence artificielle sociale développée par IP Soft : Amelia a été conçue pour remplacer le premier contact que vous avez quand vous appelez un service clients. La plupart des centres d’appel sont dans de petites villes, ce qui veut dire que les salaires ont un impact très important sur les communautés locales. Or, à mesure que des produits comme Amelia deviendront plus sophistiqués, les centres d’appel fermeront. Ce qui est super pour tout le monde - qui aime appeler un service clients ? - sauf pour la communauté qui a besoin de ces salaires. À mon sens, ce serait une excellente idée que les gouvernements locaux puissent prévoir dès maintenant ce genre de conséquences sociales. Parce qu’on ne parle pas uniquement d’une entreprise qui doit faire sa transition : on parle aussi de filets de sécurité sociale, de salariés qui doivent être déplacés, développer de nouvelles compétences, avoir accès à la formation continue, etc. Toutes ces choses peuvent être faites de manière éclairée si les personnes qui dirigent ces organisations savent comment la technologie va changer le monde du travail. C’est ce que nous leur apportons.

 

À qui incombe la responsabilité d’accompagner ces changements : les entreprises ou les gouvernements ?

Cela dépend beaucoup du pays et des relations entre gouvernements, entreprises et syndicats. Mais je pense qu’il y a là une opportunité pour l’OCDE et le Forum mondial de montrer la voie en informant sur la manière dont ces changements vont advenir. Prenons un autre exemple : 83,4% du PIB à l’export du Bangladesh provient de l’industrie textile, et le Bangladesh est très fortement dépendant de son PIB à l’export. Aujourd’hui, il est encore difficile d’automatiser la production de vêtements, mais beaucoup d’entreprises y travaillent. Et quand ce sera devenu moins cher d’automatiser la production à domicile, c’est ce que les entreprises occidentales feront. Et c’est un problème pour les pays en développement qui n’ont pas de sécurité sociale. Il y a des effets de contagion au niveau international sur lesquels nous voulons aussi informer.

 

Y a-t-il un projet qui vous enthousiasme particulièrement ?

Nous avons élaboré un Future Workforce Index pour chaque pays de l’OCDE, qui montre les effets de la technologie sur les plus grandes industries dans chacun de ces pays. L’Index sera utilisé par les gouvernements pour éclairer leurs choix en matière de politique d’investissement, d’emploi et de planification fiscale et par les entreprises pour leur stratégie et leur transformation.

 

Y a-t-il une chose sur laquelle vous rêveriez de travailler ?

En ce moment on parle beaucoup de revenu universel, qui serait une réponse au fait que nous n’aurons plus assez d’emplois pour tout le monde. Je ne partage pas cette analyse. Nous ne faisons pas face à la fin du travail, mais au début d’une nouvelle ère de travail. Je dis souvent que les ordinateurs sont bons pour faire ce que nous trouvons difficile, et qu’ils ne sont pas très doués pour les tâches qui sont faciles pour nous. Nous devons parler des trois “A” ensemble : bien sûr, il y a l’automatisation, mais il y a aussi l’augmentation des métiers existants et l’ajout de nouveaux métiers. Donc, ce que je voudrais avoir accompli à la fin de cette mission, c’est aider à prendre conscience de toutes ces opportunités. Notre objectif n’est pas de remplacer le travail par le revenu universel ; c’est d’aider les gens, grâce à l’éducation et au développement de compétences, à explorer de nouveaux types de travail.

 

Que souhaitez-vous pour l’avenir ?

J’espère que Tandem deviendra le standard général auquel tous les gouvernements et entreprises auront recours pour appréhender le futur du travail. Mon objectif personnel est que tous aient accès à l’éducation et à des formations qui leur permettent de faire la transition entre les métiers qu’ils font aujourd’hui et des métiers qui rendent les entreprises, les communautés et les gens heureux.

 


Rencontrez Michael PRIDDIS au 11e World Forum for a Responsible Economy

 


Pour aller plus loin : plus de 100 experts du monde entier interviendront du 17 au 19 octobre pour discuter des bouleversements technologiques, sociétaux et économiques de notre époque et présenter leurs réflexions et bonnes pratiques. 

Rendez-vous du 17 au 19 octobre 2017 à Lille