Nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd'hui Professeur Muhammad Yunus, pour recueillir votre témoignage, et montrer que yes we can, le social-business c'est possible !. Par ces mots, Philippe Vasseur, président du World Forum for a Responsible Economy, donne le ton d'entrée pour cette journée à Grenoble: le social business est un modèle porteur d'espoir, et promis à un avenir radieux !
Modèle économique singulier, le social business vise à apporter une solution à une problématique sociétale en se fondant sur une structure économique viable et durable. Son ambition est claire: «en regardant l'économie de manière différente, le social business nous offre tout simplement la possibilité de changer le monde et de révolutionner le rôle contemporain de l'entreprise !», comme nous explique Jean Bernou, président de l'entreprise McCain en Europe. Les entreprises auraient donc un intérêt économique à résoudre des problèmes de société tels que la pauvreté ou l'accès pour tous aux systèmes de santé. Cela serait conciliable avec leur objectif premier de réaliser des profits.
Muhammad Yunus, à l’origine du social business
Muhammad Yunus,économiste et entrepreneur bangladais de renommée internationale, est bien placé pour le savoir. Il a en effet créé la première institution de micro-crédits au Bangladesh en 1976, la Grameen Bank, sur le modèle du social-business. Le but: répondre à la famine qui frappait son pays à cette époque. Cette banque offrait la possibilité d'effectuer des emprunts minimes aux paysans précaires bangladais pour assurer la pérennité de leurs récoltes. Elle a finalement permis de réduire considérablement la pauvreté dans son pays grâce à ces micro-crédits.
Le résultat ? Depuis le succès de cette banque, Muhammad Yunus a créé plus de 50 entreprises à travers le monde. Il a également développé des partenariats avec de grandes entreprises comme McCain ou Uniclo afin de promouvoir le social business dans des entreprises à dimension internationale. Et ce succès, notre entrepreneur bangladais ne l'aurait jamais envisagé à l'époque où il enseignait encore dans sa contrée. Muhammad a simplement réalisé au fil des années que «If making profit is happiness, making other people happy is super-happiness». Ne suivant que ses valeurs, il est finalement parvenu à concilier profits et prise de responsabilité. Ce n'est pas pour rien qu'il sera récompensé pour l'ensemble de ses actions, en étant consacré Prix Nobel de la Paix en 2006, lui qu'on surnomme le «banquier des pauvres». Eh oui, comme le World Forum, Muhammad Yunus a une décennie à célébrer, celui de son Prix Nobel.
Le social business, d’autres s’y mettent
Jean Bernou, de McCain, et Olivier Blum, vice-président exécutif et directeur général Ressources Humaines chez Schneider Electric, sont eux aussi parvenus à développer des modèles rentables de social business, en appliquant les outils et méthodes de leurs entreprises à des problèmes de société. Ainsi, Jean Bernou a sorti 600 paysans colombiens de la pauvreté en à peine 3 ans: après les avoir ramenés dans les campagnes desquelles ils avaient été chassés par les narcotrafiquants, il les a formé aux bonnes pratiques de l'agriculture durable appliquées par l'entreprise McCain et est parvenu à créer une entreprise viable, certainement promise à de belles perspectives d'avenir.
Cela aura été plus compliqué pour Olivier Blum, pour qui détermination et patience auront été d'essentielles alliées. En 2008, son entreprise décide de lui confier un projet de social business pour fournir l'électricité dans des régions indiennes reculées. Cependant, ses premières tentatives se sont soldées par des échecs. Il réalise qu'avoir recours à un modèle d'action caritatif n'est pas efficace, car cela repose sur des intermédiaires locaux qui ne dépendent pas de sa responsabilité. De plus, ce modèle n'est pas durable sur le long terme, car il dépend des dons pour survivre. Il va alors considérer ce problème social d'un point de vue purement entrepreneurial, sur les bons conseils du Professeur Yunus. Il va chercher à comprendre les besoins des consommateurs, le prix qu'ils sont prêts à payer pour acquérir son produit, ou encore chercher la meilleure manière d'accéder à ce marché reculé en se fondant sur les témoignages des populations de ces territoires excentrés. Le succès est immédiat: grâce à ce mode de fonctionnement entrepreneurial appliqué au social, il est parvenu en quelques années à former quelques 150 000 indiens et à vendre trois millions de produits, pour un chiffre d'affaires 2016 estimé à 30 millions d'euros ! Concilier business et social semble donc bel et bien possible.
Exportable partout ?
Cependant, les exemples évoqués jusqu'ici ne concernent que des entreprises qui se sont engagées dans l'économie responsable seulement après avoir acquis des bases solides, et générant déjà des profits importants. Concrètement, est-il possible pour un jeune entrepreneur de 2016 de se lancer dans le social business et d'en générer des profits ? Oui, selon le président de McCain en Europe: «Aujourd'hui, beaucoup de fondations sont prêtes à investir dans des projets de social business. Mieux encore, un entrepreneur au projet sociétal cohérent intéresserait plus des investisseurs potentiels qu'un businessman «traditionnel». Il est essentiel de sensibiliser les entrepreneurs à cette disponibilité de fonds consacrés au social business, car le paradoxe est qu'aujourd'hui, des fondations à l'exemple du Yunus Social Business (oui, encore lui !) disposent de fonds pour lesquels elles ne trouvent pas de projets. elles n'ont pourtant qu'une attente: aider un jeune entrepreneur social à lancer son entreprise !». (Alors lancez-vous !)
Ce matin, c'est à une vraie leçon d'optimisme à laquelle nous avons assisté. N'en déplaise aux sceptiques, ces conférenciers n'étaient pas des illuminés. Il est encore possible de transformer nos économies pour qu'elles répondent aux problèmes cruciaux auxquels font face nos sociétés. Un jour, le Professeur Yunus s'est dit que le monde devait changer. Ensemble, faisons en sorte que son souhait devienne réalité.
Gustave LEBEAU – ESPOL Lille